Les pensées – Le boudoir de Tervuren

« Le biscuit rose de Reims est comme son nom l’indique rose. Il est l’un des rares biscuits à être réellement cuit deux fois (bis-cuit) (…) » puis-je lire en faisant quelques recherches sur ma découverte chez Rob (le magasin un peu ‘prout-prout’ à Woluwé). Il paraît qu’il accompagne très bien le champagne. Marrant ça et suffisant pour que je teste la chose. Le résultat est surprenant. Quand je n’aurai pas de fraises sous la main, je penserai aux biscuits de Reims pour faire ressortir davantage le goût du champagne. Sur la boîte je peux lire que ce biscuit, assez dur, ne se mange pas tel quel mais davantage trempé dans une boisson. Marrant ça et suffisant pour que je teste la chose…le breuvage en moins. Le goût me rappelle celui d’un autre biscuit, le boudoir. Et là, je remonte dans le temps.

Je dois avoir 6 ans. Ou 8. Je suis avec papa chez des amis de la famille. Les grands parlent entre-eux dans ce bel appartement de l’avenue de Tervuren, j’ai l’impression d’être de trop. Lui, c’est « le président ». C’est ainsi que papa l’appelle. Un homme respecté et respectable. Elle, c’est « madame ». Elle m’a toujours fait penser à la dame qui a recueilli Babar (et qui s’appelle Madame). La gentillesse a ses traits. Elle me prend à part et me demande si j’aime le cirque. Je n’ai jamais vu de spectacle de cirque. Elle m’installe confortablement dans son canapé, met un VHS sur lequel elle avait enregistré un spectacle de cirque – celui du Monte-Carlo – (quoi, on peut capturer des images et les mettre sur une cassette vidéo?!) et me propose des boudoirs. Je n’ai jamais mangé de boudoirs.

Je regarde l’objet en question, le compare à mes doigts. Je me dis que si mes doigts étaient des boudoirs je pourrai prendre la plaisanterie de maman au mot: « si tu as faim mange une main, garde l’autre pour demain ». Le spectacle commence alors que j’ai mordu pour la première fois dans ce biscuit. C’est un peu dur sous la dent mais tellement délicieux. Mon regard est quelque fois happé par l’énorme globe terrestre en bois qui se trouve dans le salon (était-il vraiment si énorme?) et revient vite aux trapézistes. Ils vont tomber! Non, son partenaire l’a rattrapé…mais il a eu beaucoup de chance. C’est qui ce monsieur avec son grand chapeau? Loyal?! Mais pourquoi est-ce que sa maman l’a appelé comme ça, c’est bizarre. L’après-midi passe, je me sens bien – les années passent et tout va bien.

Un jour le président s’en est allé, définitivement. Notre lot commun à tous. Quelques années plus tard, alors que nous avons l’habitude de nous arrêter chez un fleuriste, papa poursuit sa route. Ma réaction ne tarde pas: « mais pourquoi on ne s’est pas arrêté? On prend toujours des fleurs ici pour Madame ». Papa manoeuvre, gare la voiture, échange un regard avec maman, se tourne vers moi et me dit « mais ma puce, Madame est décédée l’année passée, tu te souviens, tu étais là ».

Alors c’est ça, le déni, cette faculté impressionnante mais néanmoins réelle qu’à notre esprit de faire barrage, de refuser certaines informations peut-être trop lourdes à accepter. La journée passe, je ne me sens pas bien.

Retour à aujourd’hui. Je ne regarde pas un spectacle de cirque à la télévision sans m’assurer d’avoir une boîte de munition. Je dégaine mes boudoirs et alors seulement la piste peut s’éclairer. Plus qu’une habitude ou qu’un rituel, c’est un rendez-vous que je ne voudrai manquer. Un retour dans ce bel appartement où, installé dans le canapé et sous l’oeil bienveillant du président et de madame, j’avais vue sur l’énooorme globe terrestre en bois.  Proust avait sa madeleine, moi j’ai mes boudoirs. Les années passent, je me sens bien. C’est fou le petit bonheur qu’on peut trouver dans un biscuit.

cirque


Et vous, vous en pensez quoi? And you guys, what do you think about it?